Pepe Carvalho ne mourra pas
NOUVELOBS.COM | 18.10.03 | 18:49
par Frédéric Vitoux fvitoux@nouvelobs.com
Membre de l'Académie française,
Frédéric Vitoux
est chroniqeur littéraire
au Nouvel Observateur
MANUEL Vazquez Montalban est mort soudainement, dans un aéroport,
à Bangkok, en transit entre l'Australie et l'Espagne, dans la nuit
du vendredi au samedi 18 octobre. Il avait soixante-quatre ans.
Un malaise cardiaque, nous dit-on. Avec un auteur de romans policiers,
tous les doutes sont permis. On est tenté de projeter sur lui la
vie aventureuse de ses héros. Et leurs morts. On imagine en somme.
On affabule. La disparition brutale, romanesque de Manuel Vazquez
Montalban s'accorde, en d'autres termes, à celle de ses victimes.
Il était de ces très rares écrivains qui ont créé un personnage
si fort qu'ils lui ont laissé la vedette. Comme Arsène Lupin plus
célèbre, mettons, que Maurice Leblanc, Rouletabille que Gaston Leroux
ou Sherlock Holmes que sir Arthur Conan Doyle, le « privé » vieillissant,
gastronome et sceptique de Barcelone, Pepe Carvalho, que l'on retrouve
dans près d'une cinquantaine de bouquins, a volé en quelque sorte
la vedette à Manuel Vazquez Montalban. Mais lui, il ne mourra pas.
La preuve, un nouveau « Pepe Carvalho » était prêt, qui devrait
sortir en janvier prochain en Espagne.
En vérité, Carvalho et Montalban se ressemblaient comme des frères.
Bien sûr, le « privé » Carvalho n'était pas polygraphe. Il n'était
pas l'auteur d'une pseudo autobiographie vitriolesque de Franco,
de biographies diverses, de romans, de pamphlets et même d'un remarquable
« Ou César ou rien » consacré à la vie tumultueuse de César Borgia.
Nul n'aurait donc songé à lui remettre en 1979 le prix Planeta ou,
plus tard, le Prix National des Lettres pour l'ensemble de son uvre.
Mais comme Montalban, il y avait en lui ce vieux fond généreux,
frondeur, teigneux, courageux, anarchiste ou communiste à la façon
catalane, qui brave toutes les autorités. Il dénouait méthodiquement
les fils d'intrigues criminelles tordues comme Montalban, dans ses
chroniques d'El Pais décortiquait les méfaits politiques des conservateurs
au pouvoir.
L'un et l'autre, on l'a dit, étaient des gastronomes et de fins
cuisiniers. Ils nous régalaient de leurs recettes, des traditions
culinaires de leur ville natale, de leur pays. Désormais, Pepe Carvalho
se retrouvera seul à table. Il aura l'appétit coupé. Nous aussi.
F.V.
(le samedi 18 octobre 2003)
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